Si le Chili m'était conté
Le Chili est certainement le premier pays étranger dont j’ai entendu parler, alors que je pouvais encore dire mon âge avec les doigts d’une seule main. Il était alors, dans ma petite tête d’enfant, l’illustration parfaite d’un monde dichotomique. Les gentils et les méchants, les riches et les pauvres, la guerre et la paix, l’amour et la haine.
Ce pays était pour moi représenté par cinq personnes, cinq prénoms aux sonorités différentes du français. Olga, Arnoldo, Alexandro, Marcia et Luis. Le Chili devait très certainement sentir la lentille et les épices, comme chez cette nounou qui m’accueillait chez elle le temps de la pause du midi à l’école maternelle. Mes parents ont du m’expliquer un jour qu’ils étaient réfugiés politiques, qu’ils s’étaient battus dans leur pays pour la paix mais que leur vie était en danger là-bas car la liberté n’était pas la même qu’en France.
J’ai certainement senti que ça n’avait pas dû être drôle pour eux de venir vivre ici, transportant avec eux un parfum d’orange que je pouvais sentir lorsque Marcia, leur fille, me peignait les cheveux. Mais j’étais contente qu’ils soient arrivés ici, en France, pour que je puisse les connaître. En grandissant, j’ai entendu des mots d’adultes tels que torture, prison, dictature. Au collège, j’ai appris la longueur de ce pays si étroit tout au long duquel avait poussé la Cordillère. J’ai alors voulu comprendre ce qui était arrivé à beaucoup d’autres, tout comme à eux.
Lorsque j’ai appris la mort de Pinochet dans les journaux, je me suis demandé s’ils en étaient soulagés ou si au contraire ils étaient rongés par l’injustice de son non-jugement. Mais je n’ai jamais osé poser de questions, par pudeur. Puis, en traversant l’Equateur, le Pérou, la Bolivie à vélo je pédalais avec l’idée que j’allais enfin découvrir ce pays connu de nom depuis si longtemps mais pourtant si obscur à mes yeux.
En arrivant à Santiago, je me suis dis qu’il était temps d’entrer dans le vif du sujet. Après avoir rencontré des gens dans le rue, avoir visité tous les musées possibles sur l’histoire de la dictature, avoir marché dans les rues aujourd’hui si paisibles, m’être assise devant le mur en souvenir des disparus de la dictature dans le Cementario General, je n’ai pas encore tout saisi sur l’histoire du pays qui a bouleversée bien des vies. En lisant un chapitre du livre « Les veines ouvertes d’Amérique Latine », écrit juste avant le coup d’état militaire chilien, je comprends qu’il n’est en fait qu’une histoire d’argent, d’intérêt pour des ressources naturelles que les pays du nord voyaient dans les pays du sud. C’est de cette manière que se résument les questionnements du « pourquoi tant de haine ? » qui me taraudent depuis ma tendre enfance. Le gouvernement des Etats-Unis avait besoin d’exploiter des minerais dont disposait le Chili, ils ont placé un dictateur. Quoi de plus simple ?
Depuis la chute du gouvernement militaire, les traces laissées par l’impérialisme américain sont très visibles. Les voitures sont grosses et neuves, de marque américaine, chacun exhibe LA pomme sur son ordinateur, son téléphone, son lecteur musique. Les rues sont calmes et l’espace publicitaire a la part belle. Le week-end de notre arrivée, le Chili était en pleines élections. La liberté n’est pas encore gagnée, reste à voir ce que les Chiliens vont décider.
Pour Olga, pour Arnoldo, pour toute leur famille, je souhaite que leur combat et leur exil n’aient pas été vains. L’Histoire, c’est aussi au présent que ça se raconte.